FIN D'UN MONDE D'AVANT CELUI D'AVANT...
UN MONDE D’AVANT 2 (2-2)
Je me souviens, j’aimais...
Je me souviens avec délice de ces « petits riens » qui ont marqué mes vacances passées chez ma mémère Ninie lorsque les beaux jours de l’été nous inondaient de soleil et d’insouciance estivale…
J’aimais remplir le sac en tissu blanc cousu à cet effet, de ces grosses noisettes fraîches cueillies dans les chemins creux les plus proches, serrer le cordon et rentrer au plus vite, un avant goût de reviens-y dans la bouche…
Assis sur « ma » marche préférée de la remise, muni de « ma » pierre « casse noisette », je brisais chaque coque minutieusement afin de ne pas en écraser le fruit. Pincé entre le pouce, l’index et le majeur, celui-ci s’offrait à moi, comme résigné …Et moi de croquer le fruit pas défendu, croquer, croquer… rendant les armes lorsque mon ventre finissait par crier complet…
J’aimais passionnément ce moment privilégié que j’attendais avec une impatience non feinte : sonner l’angélus chaque soir dans l’église du village de St Pierre de Mailloc. Qu’elles étaient impressionnantes ces cordes, dix fois plus hautes que moi ! Quel défi et quel bonheur de s’y suspendre pour mieux les tirer puis se laisser remonter emmené par l’élan, comme enivré par le tintement majestueux et intemporel de « mes » cloches »...
J’aimais le bruit lointain et ronflant du moteur de la voiture qui se rapprochait et apparaissait conquérante au sommet d’une longue côte menant à la maison : une Renault 4CV chromée, véritable écrin étincelant, moteur à l’arrière, coffre à l’avant . Courbaturés mais fiers, Tonton Maurice et Tante Renée, les heureux propriétaires de ce bijou rutilant, se dépliaient laborieusement pour en sortir et reprendre contact avec la terre ferme…Lui était agent d’assurance et de prévoyance. Professionnel jusqu’au bout des ongles, il assurait aussi la bonne tenue de son pantalon en passant un sandow de vélo dans les coulants en guise de ceinture…
J’aimais jouer avec Zola dite « Zozo », la chienne cocker de couleur noire qui courait après ma balle, la gobait en plein vol et faisait semblant de ne pas vouloir me la rendre…Elle aboyait aussi de satisfaction en me voyant réussir à réceptionner le ballon lancé inlassablement contre le mur du pignon de la maison…
J’aimais la compagnie de la fille des locataires que je retrouvais chaque été . Brune et mignonne « à croquer » (comme les noisettes), elle s’appelait Martine, une dizaine d’années, comme moi, nous étions faits pour nous entendre ... Assis , épaule contre épaule, sur le muret de clôture, insouciants, découvrant le monde, nous regardions passer les voitures et projetions un avenir commun… La Renault Dauphine, tout juste sortie des chaînes de fabrication serait notre 1ère voiture…Perdus de vue à la préadolescence, nous n’avons pas donné suite à notre projet ni aux autres d’ailleurs…Heureux destin puisqu’il s’est avéré que la Dauphine ne tenait pas la route…
J’aimais ce bruit et l’odeur caractéristiques des grains de café dansant la samba dans le moulin mural, tout en verre transparent, dont je tournais la manivelle avec autorité…Déjà le son et l’image vivante, écologique avant l’heure...
J’aimais défier mémère Ninie et éprouver chaque midi mes modestes connaissances au « jeu des mille francs », tout en mâchouillant de l’extrême bout des dents son maquereau maculé d’huile de friture à l’odeur si insistante…
J’aimais le moment où je pouvais enfin respirer le grand air en sortant des WC, un genre de toilettes sèche avant- gardistes, perdues au fond de la cour à droite, dotées d’un siège rectangulaire en bois dont il fallait ôter le couvercle avant de déposer son obole, dans l’agitation grouillante et gratouillante de belles grosses mouches aux nuances noires et bleues… Prévenante et économe, mémère Ninie accrochait des feuilles de papier journal, du quotidien à la revue, à un vieux clou devenu couleur « rouille » à l’usage et l’usure… J’en parcourais les potins divers…Bref ! Du papier à l’encre tenace, , d’époque, authentique, à double fonction, plis à volonté, à un seul trou (pas le trou de la fosse mais le trou du clou)…
J’aimais le retour du marché, chacun portant un cabas rempli entre autres de denrées invendues ou « abîmées », abandonnées par les marchands dans des poubelles de fortune ou des cageots à réformer…
Quelques dizaines d’années après, j’aime repenser avec délectation à tous ces moments inoubliables.
Not’ mémère Ninie, c’était « quéqu’un » !!!
EPILOGUE
Après le décès de son 3ème mari
Le 14 septembre 1955
A Saint-Pierre de Mailloc
Elle résida à Riva-Bella
Dans sa petite maison
Baptisée du blanc nom d’HERMINE
Avant de migrer en maison de retraite
A Isigny sur Mer
On lui déconseilla les caramels...
Après 81 années
D’une vie pleinement vécue
Elle nous quitta sans notre autorisation
La nuit du 17 février 1966
J’avais alors 18 ans...
Que reste t’il du « café de la terrasse »?
Champ de ruines
Dommage de guerre
Reconstruit
Symbole d’une vie d’espoir
Des années folles ?
Loué
Puis vendu
Versé dans l’oubli
Fermé pour crise sanitaire
Limonadières en chômage partiel
Verres même pas à moitié vides
Contenants en quête de contenus
Peu importe
Pourvu qu’on aie l’ivresse
Il faut savoir tourner la page
Ecouter le silence
Préparer un avenir
Digne et durable
Renouer avec la vie
La vraie !
En toute simplicité et modestie
Dans la joie de vivre retrouvée .
Maestro ! MUSIQUE !